Petite histoire anecdotique du coulage de la dalle

Petite histoire anecdotique du coulage de la dalle

Préambule

Auparavant, était la terre ….

Et la terre appelait la pelle ….

Et la pelle appelait les bras ….

et les bras appelaient la brouette,

mais contre le béton (que faisait-il là ?) les pelles ne pouvaient rien.

Ainsi, l’espace se préparait pour le grand jour où il accueillerait son manteau de béton …

Septembre 2017

Belle journée, fin d’été, le soleil est voilé, il fait doux. Voici quelques semaines que les travaux avancent pour la réalisation du coffrage de la dalle de la ‘Serre-Moi-Fort’. Les derniers jours ont été animés de discussions sur l’ordre et le choix des bons moments pour chaque opération. Il est temps d’en finir et de couler la dalle de béton. La météo joue, elle aussi, un rôle déterminant. On annonce de la pluie pour jeudi.

Lundi

Donc le lundi 25, tout se dessine pour lancer la commande le mercredi 27 et agir le vendredi 29. Et dès 8h le mardi 26, cette belle idée est remise en question. Si nous arrivons à passer la commande et obtenir la livraison de 13m³ de béton avec le camion grue-pompe pour 11h le lendemain, nous pourrons avoir l’aide d’enseignants en congé pour la fête de la Communauté française. Sitôt dit sitôt fait. Je téléphone et passe la commande après avoir reçu la garantie que ce plan peut être réalisé et que tous les ingrédients devraient être au rendez-vous. Alice envoie un message appelant à l’aide pour une équipe étoffée. Ça y est, comme aurait dit Jules César ‘Alea jacta est’.

Mardi

Le mardi est encore une journée laborieuse. Finir les raccords de l’égouttage, refixer le ‘visqueen’, dégager les lests de la surface, poser un geo-textile sur les tuyaux, mettre en place les plaques de ‘platon’ récupérées, fabriquer des râteaux à béton et vérifier le tout. Et je reçois de merveilleux coups de fil m’annonçant l’aide de six belles personnes solides, intelligentes et tout. Dans la nuit qui suit, je me réveille vers minuit, hanté par l’idée que rien n’est affiché dans l’entrée du parking pour annoncer qu’il sera inaccessible le temps de faire le travail. Je rédige en vitesse une affichette avec l’entête d’INTERBETON. « Attention ! – accès parking – entrée et sortie – fermé ce jour – de 13h à 16h – pour travaux » et traduction en NL, le tout sur A5 en 60 exemplaires. Je vais derechef les placer bien en vue à l’entrée du parking, au dessus de l’entrée, sur les deux premiers piliers, sur la porte de l’ascenseur et sur les pare-brises de chaque voiture aux trois étages. Pas moyen de les ignorer. Je reviens à 6h du matin pour m’assurer qu’elles sont encore bien visibles.

Mercredi

Alors, nous arrivons à cette belle matinée du mercredi 27 septembre, jour de fête ! Je m’habille en fonction des tâches prévues, pantalon de chantier, polo rouge, grosses chaussures de sécurité, casque de chantier, gants de travail et je me rends sur place.
Vers 9h30, Luc Pourbaix, ‘monsieur sport’ de la commune me téléphone :
–  Moi, d’une voix joyeuse : « Bonjour Luc ! »
– « Tiens, tu as mon numéro en mémoire?… J’apprends par des personnes du tennis de table qu’il y a un problème et que le centre sportif serait fermé aujourd’hui. Tu sais quelque chose ? »
– « Oui, j’ai affiché que l’accès au parking sera fermé de 13h à 16h parce que c’est dans l’entrée que viendront se placer le camion pompe et les bétonneuses le temps de livrer. Si tout se passe bien, cela durera ¼h pour installer, ¼h pour pomper et encore ¼h pour dégager. Nous ne pouvons pas faire autrement. »
– « Ah bon, si ce n’est que ça, pas de problème. Bonne journée… »

Et je continue mes petits préparatifs. Revérifier le coffrage, amener les outils et aller chercher quelques bières, rien que des choses bien normales dans ces circonstances.
Nouveau coup de fil vers 11h, le camion pompe a une heure de retard, il n’arrivera que vers 14h30.

Ah bon, nous allons composer et prévenir l’équipe. Et le temps passe assez vite, même que je décide d’écourter une petite pause déjeuner pour rester aux abords directs du chantier. Il fait bon, je finis par disposer les fauteuils en arc de cercle et je m’assieds. Je reçois de la visite. Plusieurs personnes me voient dans une position et une tenue moins habituelles et viennent aux nouvelles. Vers 13h45, je choisis de mettre mes grandes bottes en prévision du rush qui inévitablement va arriver. J’ai à peine mes bottes aux pieds que j’entends une auto klaxonner sur la chaussée de Wavre. Ce n’est pas normal, quoique, et je vais voir au bout du terrain.

Ah ! Le camion pompe est devant l’entrée des parkings. Je me précipite dans l’escalier direction la chaussée en faisant attention de ne pas déraper et tomber. Comme j’arrive en bas, un bus qui descendait la chaussée dépasse le camion et accroche avec son flanc arrière droit le rétroviseur du camion arrêté, feux de détresse allumés. Là, je vois la catastrophe arriver. La célèbre loi de Murphy : « Tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera nécessairement mal ». Le camion est juste devant l’entrée des parkings et le bus reste à son arrêt avec, lui aussi maintenant, ses feux de détresse. Ce dispositif bloque la chaussée de Wavre dans le sens de la descente sur au moins 150m. Le chauffeur du bus descend de son véhicule et remonte à pied jusqu’au camion. Il hoche la tête. Une dame au volant de sa voiture voudrait sortir du parking et en est empêchée par le camion arrêté devant l’entrée. Je lui explique et annonce que nous allons la libérer quand le camion manœuvrera pour s’installer à son tour dans l’entrée. Le chauffeur du camion me demande de prendre des photos, ce que je fais en vitesse. Je me précipite ensuite pour empêcher le pire des embouteillages. Les voitures qui montent ne veulent pas laisser descendre ceux qui viennent d’en haut et le chauffeur du camion m’annonce que le premier mixeur à béton a été chargé à 13h15. Je sais qu’à partir de ce moment là, nous n’avons que 100 minutes pour faire le travail. Manifestement, c’est la loi des séries qui vient au secours de la loi de Murphy : « Quand quelque chose d’inévitable arrive, attendez-vous à ce que ce qui suit soit encore plus désastreux ».

J’arrive à plusieurs reprises à débloquer la situation et faire circuler quelques voitures du haut vers le bas et alternativement du bas vers le haut. Je constate que le chauffeur du bus est embarrassé et je vois de loin qu’il ne s’en sort pas dans ses papiers. Il finit par interpeller un collègue qui conduit un bus en sens inverse. Gentiment, il s’arrête à sa hauteur et commence une explication. À ce moment, plus rien ne bouge. Personne ne peut descendre et le bus bloque la montée. Je remarque une superbe Ferrari dans la file, certains font demi tour et d’autres klaxonnent bêtement. Il est 14h20 quand le bus démarre. En deux alternances, j’arrive à dégager le camion pompe, libérer la voiture qui devait sortir du parking et faire entrer le camion pompe dans le bon sens dans l’allée d’entrée des parkings. Le chauffeur ‘pompiste’ est vraiment de bonne composition malgré l’accrochage qui a endommagé son camion. Il installe son engin long de 11m et avec un bras dont la hauteur doit atteindre 15m et un rayon de 30m. C’est énorme. Des bras de renfort sortent de part et d’autre du camion qui finit par reposer complètement sur ceux-ci. Bien sûr, des clients de ‘La Soeur du Patron’ parqués ici se voient bloqués, tout comme les parents de jeunes qui voudraient eux aussi passer par le parking pour déposer leurs jeunes sportifs au centre sportif.

Jusque là, tout va presque bien, mais je sens que ce coquin de Murphy va nous rattraper. J’explique à une dame aux cheveux blancs qu’il faudra attendre que tout soit fini pour sortir son auto du garage et lui propose de retourner boire un verre en attendant. Patrick et Lionel m’ont rejoint à l’entrée des parkings et j’en profite pour monter sur le terrain avec le chauffeur. J’ai l’occasion de lui expliquer la situation, le travail qui est attendu, en bref, faire le point. Nous avons tout juste terminé que j’entends des cris en bas. Je suis rejoint en courant par Patrick qui annonce l’arrivée de la police.

C’est manifestement la dame aux cheveux blancs qui est allée les quémander. L’inspecteur et son adjointe ont arrêté leur véhicule juste derrière le camion pompe dans l’allée.
– « C’est vous le responsable ? »
– « Oui, enfin, je suis le client. »
– « Vous allez dégager l’accès. »
– « Non, le béton va arriver d’un moment à l’autre. Il devrait déjà être là. »
– « Je veux bien mais c’est une entrave à la circulation. Il fallait prévenir. »
– « C’est ce que j’ai fait… »
– « Oui mais une interdiction de stationner s’affiche 48h à l’avance. Allez,bougez vite ce camion que la dame sache sortir… »
– « Il faut 20 minutes pour remballer l’engin, le béton arrive et ça n’ira pas… »
– « On va essayer de trouver une solution à la belge… Tout le monde doit y mettre du sien… Je sais bien que vous devez faire votre travail mais est-ce qu’il n’y a vraiment pas moyen… juste un peu… »
Il y a, à ce moment, un joyeux attroupement de 15 à 20 personnes autour de l’entrée. Enfin, tout le monde n’est pas aussi joyeux pour savourer la situation. Certains, dont la dame aux cheveux blancs, sont furieux.
– La dame : « Ils n’ont qu’à bouger, c’est quand même facile. » « D’ailleurs cette affiche, là, c’est monsieur qui vient de la mettre… »
•- Alice : « Madame, pour quelle heure devez-vous absolument être partie? ».
Réponse : « Mais ce n’est pas la question, j’ai le droit ! »

Nous entendons aussi quelques supporters : « C’est bien ce que vous faites… » dit une dame qui va conduire son enfant au ping-pong. Et après encore quelques échanges, un gros coup de gros klaxon nous fait tous sursauter : voilà le premier camion de béton. La police se rend compte que la voiture de patrouille est exactement à l’endroit où le camion doit s’installer pour verser le béton. Ils sautent dans leur voiture et disparaissent comme ils sont arrivés sans même faire la circulation.
Pourtant, ce vieux Murphy est toujours dans les parages. Il est 14h35, le chauffeur du camion a apporté son terminal Bancontact. Il me tend l’appareil, après avoir introduit les références et le montant. Je tape mon code secret et la réponse est ‘solde insuffisant’. C’est impossible, j’ai pris toutes mes garanties et le compte est approvisionné. J’ai encore vérifié ce matin. On refait la manœuvre et paf… même réponse ‘solde insuffisant’. « Alice ? C’est quoi, ça ? T’as été faire des courses ? » Le chauffeur ne se démonte pas « Je vais téléphoner à la centrale, on va bien voir ce qu’ils disent ».

Finalement, ils acceptent un paiement différé et il reçoit l’autorisation de décharger. Il est maintenant 14h45 et l’équipe se met au travail. Il reste officiellement dix minutes pour travailler le béton avant qu’il ne prenne et se fige. Et c’est effectivement ce que nous avons constaté alors que la première partie était posée. Le second camion est arrivé 1/2h après avoir fini de pomper le premier. Répartir la matière, égaliser au râteau et vibrer, lisser la surface se sont fait au pas de course, les pieds dans le béton. A 16h02 l’entrée du parking était libérée et je n’ai plus revu la dame aux cheveux blancs.
Je salue et remercie particulièrement le chauffeur du camion pompe de la société Demuynck de Zottegem et aussi Stéphanie, Thomas et Félix, Lionel, Patrick et même Alice, mon Alice. Sans eux, impossible de couler une belle dalle.

Pierre (botté et casqué pour l’occasion)

PS : Pour les cartes de banque du citoyen lambda, il y a un montant limite de paiement et si vous voulez faire un paiement supérieur à cette limite, la réponse est ‘solde insuffisant’.







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